Le développeur du noyau Linux Greg Kroah-Hartman estime que la technologie SMT (Simultaneous Multithreading) d’Intel - également connu sous le nom d’Hyperthreading - devrait être désactivée pour des raisons de sécurité à cause des failles de sécurité MDS (Microarchitectural Data Sampling) dévoilées plus tôt cette année. S’exprimant lors du sommet Open Source organisé récemment à Lyon, il n’a pas caché ses préoccupations vis-à-vis des lacunes en matière de sécurité des processeurs x86 Intel qui exploitent la technologie Hyperthreading. Kroah-Hartman précise que « ;Linux n’est ni moins sûr ni plus sûr ;» que les autres solutions, mais que tout le problème vient des failles matérielles qui affectent les puces.
À ce propos, il a déclaré : « ;J’ai donné une conférence l’année dernière sur Spectre et comment Linux y a réagi ;; et puis cette année, le sujet porte sur les éléments trouvés depuis le dernier entretien ;». Selon lui, ces problèmes sont devenus récurrents, sont là pour durer et ne disparaitront pas de sitôt. Kroah-Hartman assure par ailleurs que la base de données CVE des problèmes de sécurité n’est pas pertinente quand il s’agit du noyau Linux : « ;Les CVE ne signifient rien, pour le noyau. Très peu de CVEs sont assignés au noyau ;».
Pour rappel, depuis 2018, plusieurs vulnérabilités affectant les processeurs d’Intel ont été dévoilées et il a été démontré que certaines d’entre elles existent depuis près de deux décennies. Ces exploits tirent parti de certains mécanismes d’optimisations implémentés dans les CPU x86, notamment celui dit de l’exécution spéculative. Les plus connues sont probablement : Meltdown/Spectre, PortSmash, BranchScope, TLBleed et Foreshadow. Ces vulnérabilités permettraient à un attaquant d’accéder et de détourner différents types de données (mot de passe, historique de navigation d’un navigateur Web, clé cryptographique…) sur un système sans être détecté par les outils de sécurité traditionnels. Les processeurs produits par Intel sont presque toujours les plus sensibles ou les seuls concernés par ces exploits.
En mai 2019, un ensemble de failles de sécurité critiques étroitement liées affectant les processeurs de la firme de Santa Clara a été publié. Il inclut RIDL (rogue in-flight data load), Fallout, ZombieLoad et Microarchitectural Data Sampling (MDS). Ces failles ont été découvertes de manière indépendante par Intel et diverses équipes de recherche. Pour désigner ce nouvel ensemble de failles, Intel préfère utiliser le terme « ;Microarchitect Data Sampling ;» (MDS).
Comprendre MDS
Chaque processeur a un comportement microarchitectural (le comportement d’une implémentation réelle de l’architecture) et un comportement architectural (le comportement documenté qui décrit le fonctionnement des instructions et sur lequel les programmeurs se basent pour écrire leurs codes). Celles-ci peuvent diverger de manière subtile. Par exemple, d’un point de vue architectural, une puce exécute chaque instruction séquentiellement, une à la fois, en attendant que toutes les opérations d’une instruction soient connues avant d’exécuter cette instruction. Ainsi, un programme qui charge une valeur d’une adresse particulière en mémoire attendra que l’adresse soit connue avant de tenter d’effectuer le chargement, puis attendra que le chargement se termine avant d’utiliser la valeur.
Au niveau microarchitectural, toutefois, le processeur peut tenter de deviner l’adresse de manière spéculative de sorte qu’il puisse commencer à charger la valeur à partir de la mémoire (ce qui est lent) ou qu’il puisse deviner que la charge récupérera une valeur particulière (plus rapide). Pour ce faire, il utilisera généralement une valeur du cache ou de la mémoire tampon. Si la prévision n’est pas bonne, le processeur ignorera la valeur estimée et effectuera à nouveau le chargement, avec cette fois l’adresse correcte. Le comportement défini par l’architecture est ainsi préservé, comme si le processeur attendait toujours les valeurs avant de les utiliser.
Toutefois, la génération de cette hypothèse erronée perturbe d’autres parties de la puce. L’approche principale consiste à modifier le cache en fonction de la valeur devinée, ce qui cause des différences de synchronisation subtiles (car il est plus facile de lire des données déjà en cache que des données qui ne le sont pas) qu’un attaquant peut mesurer. À partir de ces mesures, l’attaquant peut déduire la valeur estimée qui était en cache.
MDS est globalement basé sur un schéma de fonctionnement similaire. Mais au lieu d’exposer les valeurs devinées qui sont enregistrées au niveau du cache, il expose les valeurs des divers tampons au sein du processeur. Le processeur dispose d’un certain nombre de mémoires tampons spécialisées qu’il utilise pour déplacer les données en interne. Par exemple, les tampons de remplissage de ligne (LFB) sont utilisés pour charger des données dans le cache de niveau 1. Lorsque le processeur lit dans la mémoire principale, il vérifie d’abord le cache de données de niveau 1 pour voir s’il connaît déjà la valeur. Si ce n’est pas le cas, il envoie une requête à la mémoire principale pour récupérer la valeur. Cette valeur est placée dans un LFB avant d’être écrite dans le cache. De même, lors de l’écriture de valeurs dans la mémoire principale, elles sont enregistrées temporairement dans des mémoires tampons. Grâce à un processus baptisé « ;store-to-load forwarding ;», le tampon peut également être utilisé pour gérer les lectures en mémoire. Enfin, il existe des structures qui permettent de copier des données de la mémoire dans un registre, ce sont des ports de chargement. Les mémoires tampons peuvent contenir des données périmées et transmettre un mélange de données nouvelles et anciennes.
MDS et Hyperthreading
Comme d’autres attaques par canal latéral, les exploits récemment divulgués peuvent permettre aux pirates d’obtenir des informations qui seraient autrement considérées comme sécurisées, si elles n’avaient pas été traitées par le biais des processus d’exécution spéculatifs du CPU. Mais les attaques d’exécution spéculatives précédentes utilisaient une valeur périmée stockée dans le cache, alors que les nouvelles attaques MDS tirent parti des valeurs périmées stockées dans les différentes mémoires tampon du CPU. Les trois types de mémoires tampon peuvent être utilisés dans de telles attaques et l’utilisation de la technologie « ;Hyperthreading ;» augmente la facilité d’exploitation de MDS.
Pour rappel, le Simultaneous Multi Threading (ou SMT) est une technologie orientée multitâche qui permet d’exécuter plusieurs threads de calcul en parallèle sur le cœur physique d’un processeur. La technologie Hyperthreading développée par Intel n’est qu’une implémentation du SMT permettant d’activer deux cœurs logiques pour chaque cœur physique disponible sur un die. L’Hyperthreading est ainsi censé permettre l’exécution de deux instances simultanément d’un même programme ou de deux programmes différents en utilisant au mieux les ressources du processeur.
L’attaque peut être réalisée aussi bien sur un ordinateur que sur le cloud. Les chercheurs disent que cette faille peut être utilisée pour siphonner les données du processeur pratiquement en temps réel. Mais en règle générale, un attaquant a peu ou pas de contrôle sur ces tampons, car il n’existe pas de moyen simple d’obliger les mémoires tampon à contenir des informations sensibles. Les mémoires tampon peuvent contenir des données obsolètes issues de diverses opérations. Certaines d’entre elles peuvent intéresser un attaquant, mais elles peuvent être mixées à d’autres données non pertinentes. Par conséquent, rien ne garantit que les données divulguées seront utiles à l’attaquant et Intel estime que les nouvelles vulnérabilités présentent un risque faible ou moyen.
Open BSD avait raison
Tous ces éléments font dire à Kroah-Hartman qu’Open BSD avait raison : « ;Il y a un an, ils ont dit de désactiver l’Hyperthreading, il va y avoir beaucoup de problèmes ici. Ils ont choisi la sécurité plutôt que la performance à un stade plus précoce que n’importe qui d’autre. Désactivez l’Hyperthreading, C’est la seule façon de résoudre certains de ces problèmes ;».
Selon lui, le déploiement de ces mesures d’atténuation à un impact négatif plus ou moins important sur les performances (qu’il estime à environ 20 %) et ralentit la machine des utilisateurs, l’ampleur du ralentissement dépendant de la charge de travail. « ;En tant que développeurs de noyau, nous nous battons pour une augmentation de 1 %, 2 % de la vitesse. Mettez ces trucs de sécurité et on revient en arrière d’un an en termes de performance. C’est triste ;», a-t-il confié à ce sujet.
Kroah-Hartman voit cette précaution comme un moindre mal. Il recommande d’ailleurs de toujours s’assurer que vous utilisez le patch de sécurité, la mise à jour ou la version du noyau Linux la plus récente sur votre système. Et il est catégorique : « ;Si vous n’utilisez pas une distribution supportée ou un noyau stable à long terme, vous avez un système non sécurisé. C’est aussi simple que ça. Tous ces appareils embarqués, qui ne sont pas mis à jour, sont faciles à pirater. Si vous travaillez dans un environnement sécurisé et que vous faites confiance à vos applications et à vos utilisateurs, vous récupérez la vitesse. Sinon, dans un environnement partagé, avec un code non fiable, vous avez besoin d’être sécurisé ;».
Et vous ?
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Il faut désactiver l'hyperthreading et s'attendre à une réduction des performances de 20 %
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Le , par Christian Olivier
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