Cette semaine, des médias américains ont soupçonné le Congrès américain de vouloir adopter EARN IT, le projet de loi qui met fin au chiffrement en ligne, malgré l'opposition des entreprises technologiques. Mercredi dernier, les partisans de ce projet de loi ont fait venir des témoins devant le comité judiciaire du Sénat pour exprimer les faits d'abus sexuels dont ils (ou leurs proches) ont été victimes. Ces derniers ont tous appelé à l'adoption du projet de loi, car il sera un garde-fou pour empêcher la distribution et la redistribution de contenus d'abus sexuels d'enfant en ligne.
Cependant, selon Joe Mullin, analyste des politiques chez l'Electronic Frontier Foundation (EFF), le projet de loi que la commission judiciaire du Sénat espère faire passer pourrait imposer un logiciel approuvé par le gouvernement qui scannerait chaque message envoyé par les utilisateurs. Selon M. Mullin, « les entreprises qui traitent ces messages ne seraient pas autorisées à les chiffrer de manière sécurisée, ou elles perdraient les protections juridiques qui leur permettent de fonctionner ».
EARN IT Act a été présenté par les sénateurs républicains Lindsey Graham et Josh Hawley et les sénateurs démocrates Richard Blumenthal Dianne Feinstein le 5 mars dernier. Le principe du projet de loi est que les entreprises technologiques doivent bénéficier de la protection de l'article 230 plutôt que de bénéficier d'une immunité par défaut, comme le prévoit la Communications Decency Act depuis plus de deux décennies.
« Le projet de loi EARN IT, parrainé par les sénateurs Lindsay Graham (R-GA) et Richard Blumenthal (D-CT), supprimera les protections de l'article 230 pour tout site Web qui ne suit pas une liste de "meilleures pratiques", ce qui signifie que ces sites peuvent être poursuivis en justice pour faillite », d’après L’EFF. En effet, le projet de loi demande la constitution d'une « Commission nationale sur la prévention de l'exploitation des enfants en ligne » qui sera en charge de la création de cette liste des "meilleures pratiques".
La commission gouvernementale est dirigée par le procureur général Barr, qui a clairement indiqué qu'il souhaitait interdire le chiffrement afin de garantir aux forces de l'ordre un "accès légal" à tout message numérique. L’EFF avait déjà signalé dans un précédent communiqué que la commission chargée de créer un ensemble de pratiques à respecter par les entreprises en ligne, serait sous la domination des forces de l’ordre qui ont à plusieurs reprises incité les opérateurs des sites Web et des plateformes interactives en ligne à modérer le chiffrement en ligne.
Les parrains de loi EARN IT n’ont pas mentionné le mot "chiffrement" dans le projet. Et, selon l’EFF, la stratégie des partisans de la nouvelle loi consistera à insister sur le fait que, parce que le projet ne contient pas le mot "chiffrement", il n'affectera donc pas le chiffrement. Selon M. Mullin, lors de l'audition de jeudi, le co-parrain le sénateur Blumenthal a déclaré : « Ce projet de loi ne dit rien sur le chiffrement ». « Avez-vous trouvé un mot sur le chiffrement dans ce projet de loi ? » a-t-il demandé à un témoin.
Les services en ligne devraient être conçus de manière à filtrer leurs messages pour détecter les éléments considérés comme abusifs
Il est vrai que les sénateurs ont pris le soin de ne pas écrire ce mot dans leur projet, mais ils ont proposé une loi qui permet une attaque totale sur le chiffrement, a écrit M. Mullin qui est chargé de la liberté d'expression en ligne, entre autres, chez l’EFF. Mullin rappelle que le projet prévoit la création d’une commission de 19 personnes qui serait entièrement contrôlée par le procureur général et les forces de l'ordre. Il attire également l’attention sur la position sur la question du Centre national pour les enfants disparus et exploités (NCMEC), dont le vice-président a clairement indiqué lors de l’audition ce qu'il souhaite voir être les meilleures pratiques.
« Le NCMEC estime que les services en ligne devraient être conçus de manière à filtrer leurs messages pour détecter les éléments qu'il considère comme abusifs, à utiliser une technologie de filtrage approuvée par le NCMEC et les forces de l'ordre, à signaler au NCMEC ce qu'ils trouvent dans les messages et à être tenus légalement responsables du contenu des messages envoyés par d'autres », a rapporté M. Mullin.
« Vous ne pouvez pas avoir un Internet où les messages sont filtrés en masse, et aussi avoir un chiffrement de bout en bout, pas plus que vous ne pouvez créer des portes dérobées qui ne peuvent être utilisées que par les gentils. Les deux s'excluent mutuellement », a dit l’EFF. Il a également écrit que des concepts comme le "client-side scanning" ne sont pas une solution intelligente pour contourner ce problème, ce type de balayage n'étant qu'un autre moyen de casser le chiffrement de bout en bout. « Soit le message reste privé pour tout le monde sauf ses destinataires, soit il est accessible à d'autres », a noté l’auteur de l’article.
Selon L’EFF, non seulement ces groupes, comme NCMEC et les forces de l’ordre, disposeront d'une majorité de voix au sein de la commission gouvernementale, mais également « le projet de loi donne au procureur général Barr le pouvoir d'opposer son veto ou d'approuver la liste des meilleures pratiques ».
Au lieu d’être un organe qui réfléchit sérieusement à la politique à suivre, la commission sera un véhicule pour créer une liste de souhaits en matière d'application de la loi, a écrit M. Mullin. Selon lui, M. Barr a clairement indiqué, à maintes reprises, que le fait de casser le chiffrement figure en tête de cette liste de souhaits. « Une fois qu'il sera brisé, les régimes autoritaires du monde entier se réjouiront, car ils ont la possibilité d'ajouter leurs propres types de scannage obligatoire, non seulement pour les documents relatifs aux abus sexuels sur les enfants, mais aussi pour l'expression personnelle que ces gouvernements veulent supprimer », a prévenu L’EFF.
Selon l’EFF, si ce projet est adopté, réalisant le rêve les forces de l'ordre américaines de casser le chiffrement, la vie privée et la sécurité de tous les utilisateurs en souffriront. L’EFF demande à ce que les sénateurs rejettent le projet de loi EARN IT. À travers une action en ligne, "Arrêter l'attaque de Graham-Blumenthal contre le chiffrement", l’EFF appelle les utilisateurs à s’opposer au projet de loi.
Parmi les détracteurs à ce projet de loi, il y a le sénateur Ron Wyden : « cette terrible législation est un cheval de Troie qui donne au procureur général Barr et à Donald Trump le pouvoir de contrôler le contenu en ligne et d’exiger que le gouvernement ait accès à tous les aspects de la vie des Américains ». Wyden pointe ainsi du doigt l’administration Trump comme profitant de l’avantage politique conféré par ce projet de loi.
Source : EFF
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Le projet de loi EARN IT serait le plan du gouvernement pour scanner chaque message en ligne,
Grâce à un logiciel approuvé par le gouvernement, selon l'EFF
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Le , par Stan Adkens
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