« Vous allez trop loin. Vous n’avez aucune limite, aucune décence. Vous êtes sur une pente glissante en matière de surveillance. Je ne suis pas pour qu’on pénètre ainsi dans la vie privée des gens. C’est un scandale que nous puissions mettre sur écoute n’importe quel objet connecté », a lancé le député du groupe LFI au ministre de la Justice.
Des sextoys comme mouchards ?! Jusqu'où iront-ils ?!
— Ugo Bernalicis φ (@Ugobernalicis) July 5, 2023
1/3#PJLJustice pic.twitter.com/BnC21nsVd8
Sa prise de position avait à voir avec l’article 3 du projet de loi d’orientation et de programmation de la justice 2023-2027 qui prévoit une « extension des techniques spéciales d’enquête pour permettre l’activation à distance des appareils connectés aux fins de géolocalisation et de captations de sons et d’images. »
Ce texte, porté par le groupe Les Républicains, autorise notamment les services de renseignement à activer à distance les caméras ou les micros des téléphones portables ou des ordinateurs des personnes suspectées de menacer la sécurité nationale.
Cette mesure est autorisée pour les enquêteurs, soit pour géolocaliser une personne, soit pour réaliser des captations de sons et d’images (des écoutes). La géolocalisation est autorisée sur requête du procureur de la République, ou du juge d’instruction, pour des affaires relatives à un crime ou à un délit puni d’au moins dix ans d’emprisonnement, tandis que les écoutes pourront être autorisées par un juge dans des enquêtes relevant du terrorisme ou du crime organisé. Dans le texte initial, cette procédure concernait les infractions punies d’au moins 5 ans de prison, mais un amendement du président du groupe LR, Bruno Retailleau, l’élevant à 10 ans a déjà fait l’objet d’adoption.
La gauche a tenté sans succès de supprimer totalement ou partiellement des dispositions jugées « disproportionnées ». « L’atteinte est particulièrement grave, car la captation concerne aussi des personnes tierces. Le suspect va prendre son portable dans le métro. Toutes les conversations autour seront alors captées. Pareil, s’il va au restaurant. Toute conversation dans l’espace public est alors sous écoute », a objecté le sénateur écologiste, Guy Benarroche en défendant un amendement de suppression de ces dispositions. C'est « la porte ouverte à une surveillance généralisée », a-t-il affirmé.
Une surveillance généralisée qui se met en place et rapproche l’UE du modèle chinois
L'Union européenne a franchi un cap décisif dans sa lutte contre la pédophilie, la pédopornographie et toute autre forme d'abus que peuvent subir les enfants en ligne en approuvant – à mi-parcours de l’année 2021 – la ePrivacy Derogation. Une majorité de membres du Parlement de l’UE avait adopté la loi qui permet aux fournisseurs de services de scanner toutes les correspondances privées. La proposition de la Commission en entente de présentation vient saler l’addition : Chatcontrol 1.0 prévoyait que la fouille des chats, messages et courriels privés soit effectuée par les fournisseurs de services en ligne de façon volontaire. Chatcontrol 2.0 (le texte en attente de présentation) les y oblige et s’applique aux communications chiffrées.
Les conséquences de la possible adoption de ce projet sont :
- toutes les conversations en ligne et tous les courriels seront automatiquement fouillés pour détecter tout contenu suspect. Rien ne reste confidentiel ou secret. Il ne sera pas nécessaire d'obtenir une ordonnance du tribunal ou d'avoir un soupçon initial pour effectuer une recherche dans les messages ;
- si un algorithme classe le contenu d'un message comme suspect, les photos privées ou intimes pourront être consultées par le personnel et les sous-traitants de sociétés internationales et les autorités policières. Ces mêmes contenus pourront être consultés par des personnes inconnues ou se retrouver entre les mains d’individus mal intentionnés ;
- les conversations intimes pourront être lues par le personnel et les sous-traitants de sociétés internationales et les autorités policières, car les filtres de reconnaissance de texte qui ciblent la "sollicitation d'enfants" signalent souvent à tort les conversations intimes ;
- des tiers pourront être faussement signalés et faire l'objet d'enquêtes pour diffusion présumée de matériel d'exploitation sexuelle d'enfants. Les algorithmes de contrôle des messages et des chats sont connus pour signaler des photos de vacances tout à fait légales d'enfants sur une plage, par exemple. Selon les autorités de la police fédérale suisse, 86 % de tous les signalements générés par des machines s'avèrent sans fondement ;
- lors d’un voyage à l'étranger, l’on peut se retrouver face à de gros problèmes. Les rapports générés par les machines sur les communications pourront être transmis à d'autres pays, comme les États-Unis, où la confidentialité des données demeure très mal encadrée, ce, avec des résultats incalculables ;
- ce serait la porte ouverte pour les services de renseignement et les pirates sur les conversations et courriels.
Plus de 80 % des participants à un sondage de la Commission européenne sur la question ont exprimé leur défaveur à l’application de cette loi en gestation aux communications chiffrées.
Source : Hugo Bernalicis
Et vous ?
Que pensez-vous de la proposition de loi autorisant l’activation à distance des caméras ou des micros des téléphones ?
Êtes-vous favorable ou opposé à ce dispositif ?
Selon vous, cette mesure est-elle efficace pour lutter contre le terrorisme et le cyberespionnage ?
Craignez-vous que cette mesure porte atteinte à votre vie privée ou à vos données personnelles ?
Pensez-vous que cette mesure respecte le droit européen et le principe de subsidiarité (qui permet aux États membres de l’Union européenne de prendre des mesures adaptées à leur situation spécifique) ?
Un Internet sur le modèle chinois, c’est-à-dire contrôlé par les gouvernements, relève-t-il de l’inéluctable ?