Le Parlement britannique a adopté le 19 septembre le projet de loi sur la sécurité en ligne (Online Safety Bill) qui, selon les législateurs, vise principalement à protéger les enfants en ligne. La nouvelle législation devrait obliger les fournisseurs de services de messagerie chiffrée comme Signal et WhatsApp à intégrer à leurs applications un système de balayage du côté de l'appareil pour rechercher dans les messages des utilisateurs le matériel pédopornographique (Child sexual abuse material - CSAM) et le signaler aux autorités. En outre, la législation imposerait également aux plateformes numériques de supprimer rapidement les contenus illégaux ou nuisibles.
La loi sur la sécurité en ligne sera appliquée par l’Ofcom, le régulateur britannique des télécommunications, qui pourra infliger des amendes pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires annuel ou 18 millions de livres (21 millions d’euros), selon le montant le plus élevé, aux entreprises contrevenantes. Dans certains cas, les dirigeants des plateformes pourront même être poursuivis pénalement. Cependant, la législation britannique fait l'objet de controverses et est considérée par les fournisseurs de services de messagerie chiffrée comme un recul vis-à-vis des acquis en matière de protection de la vie prie en ligne. Signal, par exemple, refuse de s'exécuter.
S'exprimant sur la scène de TechCrunch Disrupt 2023 la semaine dernière, Meredith Whittaker, présidente de la Fondation Signal, a réitéré la menace selon laquelle Signal quittera n'importe quel pays à l'instant où les autorités locales exigent qu'elle compromette son chiffrement. Elle affirme que Signal refusera de le faire, peu importe la raison. « Nous quitterions le Royaume-Uni ou toute autre juridiction si nous devions choisir entre l'introduction de portes dérobées dans notre chiffrement et la trahison des personnes qui comptent sur nous pour protéger leur vie privée, ou partir. Et cela n'a jamais été faux », a déclaré Whittaker lors de son intervention.
Whittaker, chercheuse spécialisée en éthique de l'IA, n'a pas mâché ses mots pour exprimer ses préoccupations quant aux implications de la loi sur la sécurité en ligne. « Nous n'avons pas l'intention de faire de la politique, nous n'allons donc pas ramasser nos jouets et rentrer chez nous pour, par exemple, montrer aux méchants Britanniques qu'ils sont méchants. Nous sommes vraiment inquiets pour les citoyens britanniques qui vivraient sous un régime de surveillance tel que celui qui semble être envisagé par le ministère de l'Intérieur et d'autres au Royaume-Uni », a-t-elle déclaré. Selon Whittaker, le chiffrement est marque de fabrique de Signal.
L'engagement inébranlable de Signal en faveur de la protection de la vie privée a joué un rôle déterminant dans son succès. Selon de récentes statistiques, en janvier 2022, l'application comptait environ 40 millions d'utilisateurs actifs mensuels et plus de 100 millions de téléchargements. Sa popularité découle d'une politique stricte de conservation des données, la plateforme collectant un minimum de données sur les utilisateurs pour garantir une confidentialité maximale. Cette approche a trouvé un écho auprès des utilisateurs à la recherche d'une application de messagerie qui privilégie la vie privée. Selon Whittaker, Signal ne trahira pas ses utilisateurs.
Elle a fait remarquer que Signal prend un certain nombre de mesures pour garantir l'anonymat de ses utilisateurs, quelles que soient les lois et les réglementations en vigueur dans leur pays. Interrogé sur scène sur les données que Signal a communiquées lorsqu'elle a reçu des mandats de perquisition, Whittaker a indiqué qu'elles se limitaient au numéro de téléphone enregistré sur un compte Signal et à la dernière fois qu'un utilisateur a accédé à son compte. « Nous n'avons pas d'autres données. Nous avons très, très peu de données, et c'est le seul moyen de garantir la protection de la vie privée », a déclaré Whittaker à l'assemblée, avant d'ajouter :
« Si vous les collectez, elles peuvent être violées, elles peuvent être citées à comparaître. Nous procédons donc selon une éthique très stricte : nous voulons le moins de [données] possibles et nous ferons tout notre possible pour ne pas les collecter ». Whittaker s'est montrée malgré tout optimiste quant à l'avenir des applications de messagerie et a insisté sur le fait que le chiffrement devait devenir la norme pour les communications quotidiennes. Elle a cité des raisons d'être optimiste, comme Meta qui prévoit de déployer le chiffrement de bout en bout sur Facebook Messenger et Instagram en dépit du projet de loi britannique sur la sécurité en ligne.
Par ailleurs, Whittaker a insisté sur la préservation des normes de communication qui existent depuis des siècles, où les conversations restent à l'abri de la surveillance et du risque de futures citations à comparaître. « Nous devons reconnaître que les communications dans l'espace numérique doivent respecter les normes de communication en vigueur depuis des centaines et des centaines de milliers d'années, à savoir que si je parle à mon patron [ou] à mon employeur potentiel, cette conversation n'est pas surveillée. Personne n'en garde une copie qui pourrait être citée à comparaître plus tard », a déclaré Whittaker.
Rappelons que Signal n'est pas le seul fournisseur de services de messagerie à avoir formulé une telle menace. Will Cathcart, le directeur de WhatsApp, a également critiqué le projet de loi britannique sur la sécurité en ligne. Il a qualifié le projet de loi de "problématique" et le considère comme étant "l'ensemble de règlements sur la sécurité en ligne le plus préoccupant du monde occidental". Il a assuré que WhatsApp fermerait ses portes au Royaume-Uni plutôt que d'affaiblir son chiffrement de bout en bout. Selon Whittaker, Cathcart et d'autres critiques, le projet de loi britannique sur la sécurité en ligne contient une "clause d'espionnage".
Apple s'est également jointe à l'opposition au projet de loi britannique sur la sécurité en ligne. Le fabricant de l'iPhone a aussi menacé de fermer l'accès à ses services de messagerie chiffrés de bout en bout, notamment FaceTime et iMessage, en Grande-Bretagne si le projet de loi est adopté. Une initiative semblable au projet de loi britannique existe en UE. L'initiative de l'UE exigerait des fournisseurs de services en ligne qu'ils scannent automatiquement les contenus suspects dans les chats, messages et courriels privés, et ce, de manière générale et sans distinction. L'objectif : lutter contre les abus sexuels des enfants en ligne. L'initiative est controversée.
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