Un récent rapport révèle qu'Europol tente de convaincre les législateurs européens de mettre en place une forme de surveillance de masse des Européens dans le cadre de la lutte contre les abus sexuels sur les enfants en ligne. Selon le rapport, Europol a demandé un accès illimité aux données qui seraient obtenues dans le cadre d'un nouveau système d'analyse proposé pour détecter le matériel d'abus sexuels d'enfants (CSAM) sur les applications de messagerie privée. Cela suggère que pour Europol, les droits et la vie privée des Européens devraient être mis de côté jusqu'à ce que les forces de l'ordre européennes parviennent à mettre un terme aux échanges de CSAM en ligne.
Les autorités européennes tentent d'éradiquer la diffusion du CSAM en ligne et poursuivre les pédocriminels, mais la méthode choisie pour y parvenir est controversée et largement rejetée. L'UE veut analyser les messages privés des internautes prétendument pour déceler "les contenus illégaux" et empêcher la diffusion du CSAM. Et en raison du fait que la grande majorité des services de messagerie privée sont aujourd'hui chiffrés de bout en bout, l'UE veut obliger les fournisseurs de ces services à supprimer ou à affaiblir cette couche de confidentialité et de protection de la vie privée, alléguant qu'elle empêche la lutte contre les pédocriminels en ligne.
Récemment, un procès-verbal publié en vertu de la loi sur la liberté d'information a révélé qu'Europol (l'agence européenne de police criminelle) soutient cette loi et veut en profiter pour infiltrer la vie privée des Européens. Europol a demandé un accès illimité aux données qui seraient recueillies dans le cadre de cette réglementation. La réunion - à laquelle ont participé Catherine de Bolle, directrice exécutive d'Europol, et Monique Pariat, directrice générale de la Commission européenne chargée des migrations et des affaires intérieures - a eu lieu en juillet dernier, quelques semaines après que la Commission a dévoilé son projet de loi controversé.
Lors de cette réunion, a demandé non seulement un accès illimité aux données, mais aurait également demandé qu'aucune limite ne soit fixée quant à l'utilisation de ces données. Le projet d'Europol est considéré comme "une dérive autoritaire préoccupante". Pour rappel, le projet de loi de l'UE, présenté par la commissaire européenne chargée des affaires intérieures, Ylva Johansson, prévoit également la création d'une nouvelle agence européenne, appelé Centre européen pour la prévention et la lutte contre les abus pédosexuels. Il a suscité un débat intense, ses détracteurs estimant qu'il risque d'ouvrir la voie à une surveillance de masse des citoyens de l'UE.
Selon les critiques, il ne s'agit pas seulement des enfants, bien que ce soit l'argument initial d'Europol. L'argument "pour les enfants" tend à court-circuiter l'opposition, en forçant ceux qui s'opposent aux mandats gouvernementaux scandaleux à se "ranger" du côté des pédophiles. Il s'agirait d'un cliché utilisé depuis des décennies pour parvenir à d'autres fins. « Cela fonctionne toujours. Et cela fonctionne encore assez souvent pour qu'Europol ait demandé non seulement l'accès pour combattre CSAM, mais aussi pour utiliser ce même accès pour rechercher des activités criminelles qui n'ont rien à voir avec l'exploitation sexuelle des enfants », a écrit un critique.
L'expression "pas de frontières" est presque une citation directe de la demande d'Europol. En fait, l'agence chargée de l'application de la loi a essentiellement demandé qu'on lui permette d'accéder à tout dans le but de détecter éventuellement d'autres activités criminelles. « Toutes les données sont utiles et doivent être transmises aux forces de l'ordre, il ne doit pas y avoir de filtrage par le Centre [de l'UE], car même une image innocente peut contenir des informations qui pourraient à un moment donné être utiles aux forces de l'ordre », peut-on lire dans le procès-verbal publié. Pour les internautes, notamment européens, il s'agit là d'un véritable scandale.
Mais ce n'est pas tout. Le procès-verbal, obtenu par BIRN, a révélé qu'Europol souhaite que la réglementation de l'UE sur l'IA inclue la possibilité d'utiliser la puissance de l'IA pour traiter les données des Européens. Plus précisément, lors de la réunion, Europol a proposé que la détection soit étendue à d'autres domaines de criminalité que le CSAM, et a suggéré de les inclure dans la proposition de règlement. Elle a également demandé l'inclusion d'autres éléments qui garantiraient que la loi européenne en cours d'élaboration sur l'IA ne limiterait pas "l'utilisation d'outils d'IA pour les enquêtes". Le but déclaré est la lutte contre toutes les formes de criminalité.
« Il faut être naïf pour croire que cette réglementation est prévue pour protéger les enfants et lutter contre la diffusion du CSAM. Il s'agit simplement d'encadrer la discussion. Interpol ne va pas s'arrêter à l'analyse des images pour le CSAM ; ce n'est même pas l'objectif réel. L'objectif est une surveillance gouvernementale totale. Et non, je ne suis pas adepte des théories du complot. C'est la même chose qu'avec les tentatives de "chiffrement cassable". C'est proposé sous le couvert de la lutte contre la maltraitance des enfants et le terrorisme, mais le but est d'accroître l'accès du gouvernement aux communications entre les civils », a écrit un critique.
Pour d'autres, Europol veut instaurer un État policier soutenu par une surveillance permanente de tous les contenus téléchargés par les utilisateurs d'Internet. Selon elle, il vaut mieux tout scanner plutôt que de répondre à des préoccupations (apparemment relativement mineures) concernant la violation de plusieurs lois européennes sur la protection de la vie privée. Un document interne d'Europol a révélé que le responsable des droits fondamentaux de l'agence s'est inquiété en juin 2023 de possibles "problèmes de droits fondamentaux" découlant de "résultats biaisés, de faux positifs ou de faux négatifs", mais a tout de même donné le feu vert au projet.
Par ailleurs, selon des informations disponibles en ligne, Cathal Delaney, un ancien fonctionnaire d'Europol qui a dirigé l'équipe chargée des abus sexuels sur les enfants au sein du centre de lutte contre la cybercriminalité de l'agence et qui a travaillé sur un projet pilote d'IA visant à lutter contre les CSAM, a commencé à travailler pour l'entreprise Thorn, basée aux États-Unis, qui développe des logiciels d'IA pour cibler les CSAM. Delaney a rejoint Thorn immédiatement après avoir quitté Europol en janvier 2022 et figure dans le registre des lobbyistes du parlement fédéral allemand en tant qu'"employé représentant directement des intérêts".
Cela suggère que les fonctionnaires qui font pression pour accroître les pouvoirs de surveillance sont tout à fait à l'aise pour passer dans des entreprises du secteur privé qui bénéficieraient directement et immédiatement de pouvoirs de surveillance accrus. Pour l'instant, il semble que les souhaits d'Europol aient été rejetés. Mais selon les critiques, cela est seulement au fait que l'UE n'est pas encore disposée à abdiquer complètement sa responsabilité envers les millions de résidents du bloc. En outre, l'UE est confrontée à une opposition farouche de la part des défenseurs des droits de l'homme et des fournisseurs de services de messagerie privée.
Europol attend probablement le jour où les autorités de l'UE auront enfin le soutien - ou le courage - de dire aux citoyens de l'UE "au diable vos droits". Mais jusqu'à ce que cela se produise, il semble que l'agence de police européenne continuera à plaider en faveur d'une surveillance généralisée qui va bien au-delà de l'argument "pour les enfants" qu'elle a utilisé pour entamer cette conversation.
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L'argument selon lequel cela servira à protéger les enfants tient-il la route ?
Quels pourraient être les implications d'un tel accès aux données personnelles des Européens ?
Le projet de loi de l'UE sur la lutte contre la pédocriminalité en ligne ont-ils des chances d'aboutir ?
Que pensez-vous des critiques à l'égard de la réglementation européenne en cours d'élaboration sur l'IA ?
Quel est votre avis sur la requête d'Europol selon laquelle l'utilisation de l'IA pour les enquêtes ne doit pas être limitée ?
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Ce qui fait craindre une surveillance de masse
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Le , par Mathis Lucas
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