Les véhicules sont aujourd'hui bourrés d'électroniques et intègrent des modules de télémétrie. Ces dernières permettent de collecter et transmettre sans cesse aux serveurs des constructeurs des données sur les habitudes au volant du conducteur, offrant une visibilité en temps réel sur divers paramètres d'un véhicule ou d'un équipement. Selon les constructeurs, la télémétrie aide à détecter les comportements de conduite dangereux, ce qui permet une intervention rapide et une formation ciblée pour les conducteurs. Les données seraient stockées de façon à prévenir les violations et garantir la confidentialité.
Mais de récents rapports indiquent que la réalité est tout autre. Ils révèlent notamment plusieurs entorses à la vie privée et à la confidentialité des clients, car leurs données sont partagées non seulement avec la police, mais aussi avec les compagnies d'assurance. Tout ceci sans que les conducteurs en soient informés. Au moins huit constructeurs auraient admis à des sénateurs américains qu'ils sont prêts à partager les données des clients avec la police, sans exiger qu'elle présente une ordonnance. Les huit constructeurs concernés seraient Toyota, Subaru, Mazda, Nissan, Kia, BMW, Mercedes-Benz et Volkswagen.
Cette pratique rompt entièrement avec des engagements pris par ces constructeurs dans un passé pas si lointain. De nombreux constructeurs ont signé en 2014 les principes de protection de la vie privée des consommateurs de l'Alliance for Automotive Innovation. Ils se sont engagés à ne pas transmettre à des tiers des données de localisation, des données biométriques ou des données relatives au comportement de conduite sans l'accord du conducteur, à quelques exceptions près. L'une d'entre elles exige que la police obtienne une décision de justice (un mandat) pour pouvoir obtenir des informations sur le conducteur.
Selon l'APA Practice Organization, il y a une différence majeure entre une citation à comparaître et une décision de justice : « une citation à comparaître est l'affirmation d'un avocat qu'il a droit aux informations demandées, tandis qu'une décision de justice détermine que l'avocat a effectivement droit à ces informations ». En d'autres termes, une citation à comparaître est une demande d'informations ; une ordonnance est une décision d'un juge ou d'un magistrat qui appuie cette demande. Les constructeurs se disent prêts à partager les données de localisation des conducteurs sur la base d'une citation à comparaître.
Mais selon les experts juridiques, l'acquisition de données de localisation par le biais d'une citation à comparaître pourrait être facilement utilisée comme arme par un système juridique de plus en plus surveillé pour ses abus de pouvoir généralisés. Plus précisément, cela signifie que la possession d'une voiture connectée peut rendre une personne beaucoup plus facile à suivre que par le biais de son téléphone, dont les données de localisation nécessitent généralement toujours un mandat pour être obtenues. En outre, pour au moins deux des sénateurs, il s'agit d'une pratique commerciale "trompeuse" de la part des constructeurs.
« Non seulement les constructeurs ont tenu les consommateurs dans l'ignorance de leurs pratiques réelles, mais de nombreuses entreprises les ont trompés pendant plus d'une décennie en ne respectant pas les principes volontaires de protection de la vie privée de l'industrie », ont écrit les sénateurs Ron Wyden et Ed Markey à la Federal Trade Commission (FTC). Les constructeurs tiennent un double discours, ce qui suggère qu'ils ne sont pas dignes de confiance en matière de protection de la vie privée des clients. Bien que Tesla soit prêt à partager ces données sans exiger un mandat, il a déclaré qu'il informe les conducteurs.
Selon les sénateurs, dans certains cas, les constructeurs conservent les données de localisation pendant une décennie ou plus, tandis que d'autres les effacent rapidement. Mercedes-Benz a déclaré que l'entreprise ne s'engage pas dans la collecte systématique de données historiques de localisation du véhicule. Le constructeur a précisé qu'il ne stockait que l'endroit où un véhicule donné s'est garé le plus récemment et qu'il effaçait ces données une fois que le véhicule était déplacé. Cependant, Hyundai a reconnu qu'il collectait et conservait "systématiquement" les données de localisation des véhicules pendant 15 ans.
Toyota stocke les données de localisation pendant une dizaine d'années et Honda le fait pendant 7 ans. Les sénateurs ont appelé les régulateurs à agir rapidement pour faire la lumière sur les pratiques des constructeurs, notamment sur la collecte et l'utilisation d'informations relatives à la localisation des véhicules. « Nous demandons instamment à la FTC d'enquêter sur les affirmations trompeuses de ces constructeurs automobiles ainsi que sur leurs pratiques néfastes en matière de conservation des données », ont-ils écrit dans leur lettre. Selon eux, ces pratiques exposent la vie privée des conducteurs.
Un rapport publié en mars par le New York Times (NYT) ajoute de nouvelles angoisses aux préoccupations existantes en mettant en lumière ce qui ressemble à une entente malicieuse entre les constructeurs automobiles et les compagnies d'assurances. Cela suggère que les constructeurs tirent profit des données de conduite. Le rapport révèle que les constructeurs partagent aussi les habitudes de conduite de leurs clients avec les compagnies d'assurance. Cela est fait sans le consentement explicite des conducteurs. Des entreprises telles que General Motors, Honda, etc. auraient toutes adopté cette approche.
Elles utilisent les données des voitures connectées pour établir un profil comportemental du conducteur. Ainsi, ce profil pourrait indiquer notamment que le conducteur freine souvent trop vite, qu'il accélère souvent ou qu'il a tendance à accélérer de manière agressive lorsque le feu passe au vert. Cette pratique a entraîné des changements significatifs dans les primes d'assurance de certains conducteurs. Ces derniers dénoncent une invasion dans leur vie privée, avec des conséquences négatives. Dans ce cas également, les conducteurs n'ont pas été informés que leurs données sont partagées avec les compagnies d'assurance.
Bien entendu, ce type de collecte de données n'est pas nouveau, car certains assureurs proposent des réductions potentielles si vous acceptez qu'un dispositif surveille vos habitudes de conduite. À titre d'exemple, Progressive propose son programme Snapshot pour récompenser les bons comportements au volant, auquel les conducteurs doivent s'inscrire eux-mêmes. Cela peut toutefois augmenter votre prime d'assurance lorsque vous adoptez un comportement risqué. De son côté, Tesla propose sa propre option d'assurance dans laquelle les clients doivent accepter que leur comportement au volant soit suivi.
Le rapport a notamment épinglé General Motors pour avoir partagé des données avec des tiers avec peu de documentation (ou une documentation ambiguë). Le service optionnel OnStar Smart Driver de General Motors propose de suivre les habitudes de conduite des clients, prétendument pour les aider à adopter un comportement plus sûr et plus économique. Cependant, il n'indique pas explicitement que les statistiques collectées peuvent finir dans les bases de données d'entreprises tierces chargées d'analyser ces données afin d'établir des profils pour les assureurs. Ce qui constitue une atteinte à la vie privée des conducteurs.
Selon certains analystes, il est peut-être préférable de considérer les promesses en matière de protection de la vie privée comme une question de rhétorique et de marketing pour de nombreux constructeurs, plutôt que comme une cause qu'ils défendront réellement. Compte tenu de la quantité impressionnante d'informations que leurs produits peuvent recueillir sur leurs propriétaires de véhicules connectés, leur protection devient une préoccupation majeure pour tous.
Source : lettre des sénateurs Ron Wyden et Edward J. Markey (PDF)
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