
une solution moderne ou un abus de pouvoir de l'État ?
La Russie rend obligatoire l'utilisation d'une application de suivi pour les ressortissants étrangers à Moscou. Présentée comme un outil de prévention de la criminalité, cette mesure a rapidement suscité des critiques de la part de groupes de défense des droits de l'homme, d'avocats et de membres de communautés de migrants, qui craignent qu'elle ne constitue un pas de trop vers une surveillance d'État. Des experts en droits ont fait remarquer que la proposition viole les articles 23 et 24 de la Constitution russe, qui garantissent le droit à la vie privée. Cette mesure intervient après la répression de la Russie contre l'utilisation des réseaux privés virtuels (VPN).
À partir du 1er septembre 2025, un nouveau programme pilote sera lancé à Moscou et dans l'oblast de Moscou pour mettre en œuvre des mécanismes actualisés de contrôle des ressortissants étrangers. La Douma d'État (chambre basse du Parlement russe) a adopté la loi correspondante en troisième lecture. Selon le document, l'expérience durera jusqu'au 1er septembre 2029 et ne s'appliquera qu'aux ressortissants étrangers entrés en Russie sans visa.
Les exceptions concernent les citoyens de Biélorussie, les mineurs, les diplomates et leurs familles, ainsi que les représentants d'organisations internationales. Vyacheslav Volodin, président de la Douma d'État, a décrit la législation comme un moyen d'améliorer le contrôle des migrations à l'aide de la technologie. La mesure devrait être approuvée par la chambre haute du Parlement, puis signée par le président Vladimir Poutine dans les semaines à venir.
Si l'expérience est concluante, il est prévu de l'étendre à d'autres régions au-delà de Moscou et de la grande région de Moscou. Selon Vyacheslav Volodin, l'application contribuera à réduire les infractions et la criminalité en permettant aux autorités de surveiller les ressortissants étrangers de plus près.
Comment la surveillance des étrangers sera-t-elle mise en œuvre ?
Selon la proposition, l'application de géolocalisation devrait collecter une série de données personnelles et biométriques, notamment les adresses de résidence actuelles, les empreintes digitales, les photos du visage et les informations GPS en temps réel. Les étrangers devront signaler tout changement de résidence au ministère de l'Intérieur dans un délai de trois jours ouvrables. Pour bénéficier des services publics liés à la migration, les étrangers devront :
- s'enregistrer sur leur lieu de résidence actuel ;
- se soumettre à la prise d'empreintes digitales et de photographies biométriques ;
- installer une application mobile spéciale et consentir au traitement de leurs données personnelles, y compris les données de localisation et les informations relatives à l'appareil mobile.
Comme mentionné ci-dessus, par l'intermédiaire de l'application, les migrants doivent signaler leur emplacement actuel au ministère russe de l'Intérieur (MVD) et informer les autorités dans les trois jours ouvrables s'ils changent de lieu de séjour. Toutefois, des exceptions s'appliquent lorsque les migrants séjournent dans des hôtels, des centres de soins, des auberges, des institutions médicales et d'autres lieux d'hébergement officiellement enregistrés.
Selon les termes de la nouvelle législation, toute personne refusant de se conformer à ces règles s'expose à de graves conséquences. Les autorités ont déclaré que les personnes qui ne respectent pas les règles seront ajoutées à un registre de personnes surveillées et pourront être expulsées du pays.
Experts et défenseurs de la vie privée tirent la sonnette d'alarme
Presque immédiatement après l'annonce, des experts juridiques et des organisations de la société civile ont commencé à exprimer leurs inquiétudes. L'une des critiques les plus virulentes a été celle de Roskomsvoboda, un organisme russe à but non lucratif qui surveille les droits numériques et la liberté d'Internet. Anna Minushkina, avocate de l'organisation, a fait valoir que la mesure proposée allait à l'encontre des articles 23 et 24 de la Constitution russe.
Ces articles protègent la vie privée et les données personnelles. « Le fait de rendre obligatoire une surveillance aussi invasive via une application pour smartphone porte fondamentalement atteinte aux droits individuels », a-t-elle déclaré, avertissant que cette mesure pourrait créer un dangereux précédent.
Au-delà des objections exprimées par les groupes de défenses des droits numériques, la proposition a profondément déstabilisé les membres de la vaste main-d'œuvre immigrée de Russie, en particulier ceux originaires de pays d'Asie centrale comme l'Ouzbékistan et le Tadjikistan. Beaucoup craignent que l'application ne devienne un outil de discrimination ou ne conduise à des expulsions injustifiées en raison de malentendus ou de défaillances techniques.
Viktor Teplyankov, qui dirige la communauté ouzbèke à Moscou, a qualifié la mesure de « mal pensée ». Il a souligné que de nombreux migrants utilisent des smartphones dépassés ou basiques qui peuvent ne pas supporter de manière fiable de telles applications de suivi : « que se passe-t-il lorsque le téléphone d'une personne est volé ou que l'application tombe en panne ? Ce sont des scénarios réels, quotidiens, que la mesure ne semble pas prendre en compte ».
L'impact économique de la proposition est aussi une préoccupation croissante. Cette mesure pourrait en effet avoir des conséquences économiques très larges. La Russie dépend fortement de la main-d'œuvre immigrée, en particulier dans les secteurs de la construction, de l'agriculture, des services de nettoyage et d'autres emplois manuels. Des politiques restrictives comme celle-ci risquent de décourager les travailleurs étrangers de venir en Russie.
Andrey Yakimov, de la fondation PSP, qui défend les droits sociaux et du travail, avertit que la loi pourrait effrayer une main-d'œuvre que la Russie ne peut pas se permettre de perdre. « Ce sont ces personnes qui construisent les infrastructures et font fonctionner les villes. S'ils ne se sentent pas en sécurité ou accueillis, ils ne viendront pas », explique Andrey Yakimov. D'autres ajoutent que la mesure expose les migrants à des risques de violation de données.
Vue d'ensemble : accroissement du contrôle numérique en Russie
Cette évolution s'inscrit dans une tendance plus large en Russie, où le gouvernement n'a cessé d'accroître son utilisation des outils numériques à des fins de surveillance et de contrôle. Des caméras de reconnaissance faciale dans les espaces publics à la collecte obligatoire de données biométriques, le pays adopte une surveillance qui inquiète les défenseurs des libertés civiles. La proposition n'a pas encore atteint sa forme définitive.
Toutefois, une période d'essai est déjà prévue jusqu'en septembre 2029. Pendant cette période, le ministère de l'Intérieur mettra au point les détails pratiques avec les autorités régionales, tels que les protocoles pour les téléphones perdus ou endommagés, la sécurité des données et les procédures d'application.
Les partisans du gouvernement soutiennent que ces outils sont nécessaires à la sécurité nationale et à l'ordre social. Mais les critiques disent qu'ils reflètent une tendance croissante à l'intrusion de l'État dans la vie privée et qu'ils affectent de manière disproportionnée les groupes vulnérables tels que les migrants.
Sur le plan international, les analystes estiment que si cette politique est mise en œuvre, elle pourrait mettre à rude épreuve les relations diplomatiques de la Russie, en particulier avec les pays dont les citoyens constituent une grande partie de sa main-d'œuvre immigrée. Elle pourrait également éroder davantage l'image internationale de la Russie, d'autant plus qu'elle continue d'être confrontée à des problèmes de droits de l'homme dans son pays et à l'étranger.
Sources : la Douma d'État russe, Roskomsvoboda
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